25

Le comte de Nissac et ses cinq compagnons – Florenty « étudiait » à Notre-Dame – partirent à la nuit de leur base du Bout du Monde.

Promptement, ils passèrent rue Sainte-Marie Égiptienne où, abandonnant leurs soutanes, ils reprirent leurs tenues habituelles et laissèrent leurs chevaux.

La marche jusqu’à la rivière de Seine fut des plus longues et des plus difficiles, le parlement ayant fait tendre les chaînes situées aux bouts des rues.

Au calvaire qui marque le carrefour de la rue Saint-Honoré et de la rue des Poulies, le comte et les siens se heurtèrent à un parti de Frondeurs en nombre égal. Mais ceux-ci, assez inexpérimentés et menés par un jeune Conseiller aux Enquêtes du parlement, furent stupéfaits en voyant Nissac s’avancer, presque nonchalant, une main sur la hanche et l’autre tenant l’épée à la verticale. La surprise fut courte car, bien vite, les Frondeurs eurent le dessous et ne trouvèrent le salut que dans la fuite d’autant que leurs adversaires dissimulaient leurs visages sous ces foulards rouges très redoutés depuis le sac de l’hôtel Volterra et la très chaude affaire du pont Barbier.

Nissac touchait presque au but.

Avec l’homme de barre, ils se trouvaient sept en cette barge dont contenu et contenant appartenaient à un proche du Premier ministre. Le chargement, qui venait de Siam, était composé d’étoffes, de porcelaines et de plantes séchées fort odorantes.

À l’avant du bâtiment, le comte de Nissac regardait Paris plongé dans la nuit noire si ce n’est, de loin en loin, quelques foyers encore éclairés. Là, quelque part, était Mathilde. Il ressentit une cruelle impression de vide et se détourna.

Bientôt, ils durent faire halte à un barrage fluvial de la Fronde. Nissac exhiba un passeport cosigné par le prince de Conti et le duc d’Elbeuf. Aussitôt, on leur livra le passage.

Peu ensuite, ils se heurtèrent à un second barrage, à l’initiative des Condéens, celui-là. Ayant soigneusement rangé le premier document, Nissac montra un autre passeport revêtu des signatures de Gaston d’Orléans et du prince de Condé. Le barrage s’ouvrit sans tarder.

L’un et l’autre documents étaient dus à la main artiste de Nicolas Louvet, faussaire talentueux au service du comte de Nissac.

Le reste du voyage se déroula sans incidents, Nissac et les siens trouvant des montures aux avant-postes de l’armée de Condé, celle-là même que le prince avait hâtivement ramenée des Flandres pour encercler Paris et en laquelle Nissac, qui y avait servi comme général, entretenait connivences et amitiés.

Les yeux du cardinal Mazarin brillaient à l’égal des pierres précieuses qui scintillaient à la flamme des chandeliers.

Il avait discrètement fait venir Nissac et ses hommes à l’arrière du château de Saint-Germain-en-Laye, où il y avait une vaste pièce reculée.

Avec ses manières d’homme de guerre parfois un peu rudes, Nissac avait ordonné à ses hommes de vider le contenu des sacs sur la grande table. Cela fait, l’équipe du comte s’était retirée sans dire une parole et, depuis cet instant, le Premier ministre demeurait comme pétrifié en regardant le merveilleux trésor.

Un peu gêné, le comte expliqua :

— Monsieur le cardinal, nous avons exécuté vos ordres : de l’or, sans s’arrêter aux moyens. Il vous fut peut-être rapporté que notre procédé fut brutal mais point n’était possible d’agir de différente manière.

Mazarin entendait les paroles du comte. Il les comprenait parfaitement. Mais, par un phénomène qu’il n’aurait su expliquer, il se trouvait comme brusquement paralysé.

Il s’ébroua enfin :

— Ah, comte !

Puis il s’approcha et plongea ses mains dans le trésor. Perles fines et monnaies d’or, diamants bruts et bijoux ruisselaient entre ses mains tremblantes qu’il replongeait cependant tout aussitôt dans le fabuleux butin.

Enfin, il se tourna vers Nissac qu’il regarda avec affection :

— Ah, comte !… Le royaume vous doit haute reconnaissance ! Voilà de quoi payer l’armée et lever nouvelles troupes. Voilà de quoi écraser les Frondeurs et les factieux qui relèvent la tête aux quatre coins du pays.

Il posa ses mains sur les fortes épaules du comte.

— Je sais tout, Nissac ! L’hôtel Volterra, le pont Barbier, toute votre stupéfiante équipée, le soin apporté à l’affaire et jusqu’à cette étonnante idée des foulards rouges. La Cour ne parle que de cette affaire où l’on vous croit cent quand vous n’étiez que sept et pourtant, tout le monde, même à cent, de louer le courage et l’audace de ces cavaliers inconnus qui se reconnaissent à un foulard rouge et se retrouvent en leur fidélité à la couronne.

Ne sachant trop que dire, Nissac ébaucha un geste vague :

— Monsieur le cardinal, la réussite ne dépendait que de la bonne préparation de cette affaire qui fut menée comme celles que nous réalisons dans les lignes espagnoles. Les Frondeurs sont nombreux, mais bien peu d’entre eux connaissent l’art et les secrets de la guerre. Enfin, la chance fut nôtre lorsque la rivière emporta le pont à l’instant le plus dangereux.

Le Premier ministre ôta ses mains des épaules de Nissac et regarda de nouveau le trésor. Une larme coula sur sa joue et, malgré les paroles qui suivirent, le comte s’interrogea longtemps sur l’origine de cette émotion : reconnaissance ou joie profonde à l’idée d’utiliser ce trésor pour écraser la Fronde ?

Mazarin, remarquable comédien, imprima un délicat tremblé à sa voix qu’il cassa adroitement à deux reprises :

— Comte de Nissac, ne soyez pas modeste car vous ajoutez à ma confusion qui vient de ma reconnaissance, ôôôh non !

Curieux, Nissac enregistra ce trémolo assez inattendu mais ne put s’y attarder plus avant, le cardinal reprenant :

— Oh non, ne me mettez point dans la gêne par cette modestie qui couronne une action de grand éclat. Trop, beaucoup trop autour de moi se parent de lauriers qu’ils usurpent si bien qu’il m’est insupportable de voir un véritable héros rapetisser ses grands mérites.

Puis, observant brusquement le comte comme s’il le découvrait :

— Mais, je manque à tous mes devoirs ! Cette escapade sur la rivière de Seine dans la nuit glacée, vous devez mourir de faim !…

— Monsieur le cardinal, mes hommes, eux aussi…

— Je vais donner des ordres ! coupa Mazarin.

Nissac et le cardinal firent honneur à un potage au poulet farci à la laitue, des perdrix, des bécasses, une poularde, un fromage de Pont-L’Évêque, après quoi vinrent échaudés, macarons, massepains et confiture d’orange arrosés de vin de Bourgogne pour cette légère collation vespérale.

Les deux hommes, pour autant, ne cessèrent de s’entretenir d’affaires de service. Ainsi Nissac fit-il le point sur l’enquête concernant l’insaisissable « Écorcheur » et sur l’aide efficace de Jérôme de Galand, lieutenant de police criminelle tout dévoué à la couronne.

Il revint sur la nécessité de prendre en grande urgence Charenton, les généraux de la Fronde ayant décidé que cette place devait être à tout prix défendue.

Enfin, le cardinal insista pour conserver quelques jours Nissac et les siens à la Cour, le temps que les factieux oublient un peu ses « chers Foulards Rouges ».

Nissac, qui pensait à Mathilde, protesta qu’il pouvait sans attendre reprendre le combat, car les forces ennemies se trouvaient à peine entamées, mais le Premier ministre fut intraitable :

— Mon cher comte, je ne vous ai point ménagé jusqu’ici et, malheureusement, je crains de devoir vous demander votre aide longtemps encore. Prenez un peu de repos.

Il hésita et reprit :

— Vous apprendrez sans surprise que monsieur le prince de Condé se languit de vous, vous le général qui ne perdez jamais de batailles. Pour anéantir ses espoirs sans qu’il eût à protester légitimement, j’ai trouvé remède efficace, car il ne peut point s’opposer à ce qui concerne le futur roi. Mon cher Nissac, depuis à l’instant, vous êtes donc « Instructeur général de l’artillerie » auprès du futur Louis le quatorzième.

— Curieuse charge, remarqua Nissac qui ajouta : je n’en avais point encore entendu parler.

— C’est que je viens de l’inventer. Le roi, c’est encore la dernière personne du royaume sur laquelle l’ambitieux prince de Condé n’osera faire valoir quelque préséance. Et maintenant, cher comte, allez vous coucher : je vous ai fait préparer et chauffer une chambre en l’aile la plus discrète du château.

Les foulards rouges
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